16-18 oct. 2024 Mulhouse (France)

Appel à communication

Où s’arrête la ville ?

 

 

Pour sa cinquième Biennale, le réseau thématique de sociologie de l'urbain et des territoires invite à articuler les grands questionnements qui préoccupent la discipline depuis sa naissance jusqu’aux débats contemporains sur la place des villes dans la crise écologique. Symbole historique de progrès et d’émancipation, la ville, et plus particulièrement la métropole, semble aujourd’hui être allée trop loin. Condamnée pour sa consommation d'énergie, ses émissions de gaz à effet de serre et son expansionnisme, elle constituerait désormais pour certain·es un horizon insoutenable. Faut-il alors en finir avec la ville ? Quels éclairages la sociologie peut-elle apporter face aux préoccupations sur l'avenir de l'urbain ? A travers cet appel, nous invitons les communiquant·es à travailler la question des limites temporelles et spatiales de la ville autour de quatre axes, qui renvoient aux enjeux de catégorisation de l'espace (1), à la transformation des rapports entre urbain et rural face à la crise écologique (2), aux luttes et aux conflits qui prennent l'urbain pour objet (3) et aux conditions sociales de la circulation depuis, dans et hors les villes (4). 

 

Axe 1 - Les définitions sociologiques de la ville : revisiter une question ancienne

Se demander où s’arrête la ville, c’est prendre le contrepied des approches classiques de la sociologie urbaine, qui ont pour point de départ l’avènement de la ville moderne. Dès le XIXe siècle en Europe et dans les années 1920 aux États-Unis, l’industrialisation, la croissance démographique et la densification du bâti ont amené à considérer les grandes villes comme des milieux spécifiques, conférant aux individus une “culture urbaine” et transformant les liens sociaux. La sociologie urbaine se constitue donc initialement comme une science des nouvelles formes de vie produites par la ville. 

La sociologie rurale d'après-guerre se construit elle aussi comme une sociologie du changement, attentive à la transformation des sociétés paysannes sous l'influence de la ville. L'urbain, en tant que forme spatiale, organisation sociale et idéologie, paraît s’imposer comme une nouvelle réalité, omniprésente et potentiellement sans limite. L'école marxiste de sociologie urbaine française puis la géographie critique anglo-saxonne invitent alors à penser le phénomène urbain non seulement depuis les villes, mais également dans les espaces façonnés par et pour elle. Le renouvellement de la sociologie des « mondes ruraux » à partir des années 2000 appelle à dépasser la dichotomie urbain /rural pour étudier plutôt des « espaces sociaux localisés » à l’aide des outils et problématiques de la sociologie générale. Le redéploiement du paradigme bourdieusien dans des enquêtes ethnographiques localisées interroge ainsi l'existence même d'un objet propre à la sociologie urbaine (et symétriquement à la sociologie rurale). 

Même si la ville reste un lieu privilégié d’accumulation du capital et de production de valeur économique, les sociologues de l’urbain comme les géographes font également le constat que le découpage qui s’était progressivement imposé dans la littérature entre urbain, périurbain et rural ne permet plus de saisir avec finesse la spatialité des cycles marchands. Ainsi les phases de désindustrialisation qui ont touché les grandes agglomérations comme les petites villes et les bourgs font éclater les divisions entre espaces présentés comme « gagnants » et « perdants » de la mondialisation, au profit d’une analyse locale de la stratification sociale.  

La sociologie urbaine a-t-elle encore, aujourd'hui, une raison d'être ? Ses outils théoriques et empiriques peuvent-ils se déployer dans toutes sortes d'espaces ? Qu'est-ce qui caractérise aujourd'hui les villes et les distingue d'autres types d'espaces ? Les communications attendues dans cet axe viendront interroger les définitions et les contours des villes, en lien avec les autres types d'espaces. Elles pourront proposer une réflexion épistémologique ou théorique, étayée par des travaux empiriques, sur la façon dont la sociologie peut se saisir des dimensions spatiales de la vie sociale et, inversement, sur ce que les entrées spatiales font à l’approche sociologique. 

Ces questionnements paraissent d’autant plus importants qu’ils sont ravivés par un double mouvement contradictoire. D’un côté, la circulation accélérée des personnes, des biens et des représentations, de même que l’intrication des enjeux écologiques à différentes échelles, contribuent à diluer encore davantage les catégories usuelles de la recherche. De l’autre, le débat public est saturé de notions qui contribuent au contraire à dualiser les lectures du territoire et à spatialiser les problèmes sociaux. Comment les métropoles, figures-type de l'urbanité positive, en sont-elles venues à se présenter comme « barbares » aux yeux d'un large public ? Comment se renouvellent les fantasmes entourant la campagne en contexte de crise écologique ? Les communications pourront ainsi aborder, toujours à l'appui d'un matériau empirique, la fabrique des catégories spatiales dans les champs académique, médiatique et politique, afin de comprendre comment leur pouvoir symbolique s'exerce sur l’ensemble du territoire. 

Si ce premier axe vise à structurer un débat collectif autour des finalités théoriques, épistémologiques et politiques de la sociologie urbaine, la question des définitions de la ville et de ses limites renvoie ensuite aux processus concrets qui transforment la matérialité de l'espace (urbanisation, artificialisation, naturalisation) et accompagnent sa (dis)qualification. Comment les liens entre ville et campagne se recomposent-ils aujourd'hui en contexte de crise écologique ? 

 

Axe 2 - Naturaliser la ville, artificialiser les campagnes

Les rapports entre ville et campagne sont souvent appréhendés par l’opposition entre béton d'un côté et nature de l'autre. L'urbanisation est alors définie comme la réalisation d'opérations d'artificialisation sur des sols à caractère agricole ou forestier, approchée statistiquement à l'aide d'indicateurs sommaires de densité du bâti. Mais opposer le végétal des campagnes au minéral des villes contribue assez mal à questionner l’ancrage spatial des pratiques sociales. Demander « où s'arrête la ville » invite à déconstruire les approches de l'urbain en termes de seuil pour s'interroger plus largement sur les infrastructures qui font tenir la ville en dehors des villes, leur localisation, leur matérialité, les acteurs qui les conçoivent, les produisent et en font usage, ainsi que les discours qui les encadrent. C'est également réfléchir à ce qui, dans l'enceinte des villes, n'est plus tout à fait urbain, mais renvoie à l'imaginaire collectif et aux propriétés physiques de la « nature ». Les communications pourront ainsi analyser à partir de cas concrets comment les articulations entre « bétonisation » et « naturalisation » reconfigurent les rapports classiques entre urbain et rural. 

On peut penser par exemple aux projets d'artificialisation des sols en zones rurales qui ne constituent pas qu'un changement d'affectation du foncier déplaçant les limites de l'urbain mais peuvent également avoir vocation à produire l'énergie et les ressources qui seront consommées au cœur des villes. Alors que les zones rurales constituaient des espaces de production agricole destinés à nourrir les populations urbaines, elles s'industrialisent et s'artificialisent pour éclairer les villes, les chauffer et permettre de s'y rendre le plus rapidement possible. Il s'agira alors d'étudier par quelles voies, à travers quelles politiques publiques et quelles stratégies marchandes, la crise climatique réactualise et amplifie la problématique de la « sur-urbanisation » du monde. Les communiquant·es sont invité·es à réfléchir à la mise en concurrence d'activités plus ou moins énergivores pour l'occupation des espaces interstitiels ou intermédiaires entre villes et campagnes : comment la cherté du foncier, le niveau d'artificialisation et de densité, les attendus productifs, le caractère protégé ou pollué des terrains, encouragent-ils ou enrayent-ils les processus d'urbanisation et de naturalisation ? En périphérie des espaces métropolitains, la conversion d’espaces verts ou agricoles en espaces urbanisés peut donner lieu à des dynamiques de sélection et de compensation écologique à travers des processus de réintroduction ou de préservation de la nature (création d’une zone protégée, réalisation d’un corridor écologique, sauvetage d’une espèce plutôt qu’une autre). Quelles logiques président à la réhabilitation ou à la conservation de ces espaces ?

Les préoccupations vis-à-vis de la sur-urbanisation ne concernent pas uniquement les espaces périphériques mais les villes elles-mêmes, comme le montrent la multiplication des projets de végétalisation, de dé-bitumisation ou encore d'école-oasis. La présence de la nature en ville est une préoccupation ancienne, qui accompagne les premières réflexions sur l'aménagement urbain portées par les réformateurs et les hygiénistes au XIXe siècle. D'abord réservés à l'aristocratie et à la bourgeoisie, les parcs et les jardins de la ville s'ouvrent plus largement à l'ensemble des citadins et la prise en compte des « espaces verts » à partir du XXe siècle devient incontournable dans les documents de planification. Le redéploiement des jardins partagés, l'apparition d'espaces cultivés dans les interstices des surfaces bâties ou les pratiques de guérilla écologistes participent plus largement d'une réappropriation de l'espace urbain assise sur les liens à la nature. Les communications pourront à ce titre prolonger, étayer ou chercher à dépasser les débats sur la sélectivité sociale des pratiques d'agriculture urbaine et la place qu'elles occupent dans les politiques urbaines : s'agit-il d'une forme de contre-culture ou d'une façon d'intégrer la critique écologiste au développement capitaliste de la ville ? Ces projets proposent-ils une « naturalisation » de l'espace urbain ou participent-ils au contraire au renforcement d'une définition de la ville comme espace sans nature ? Les politiques urbaines de naturalisation des villes ne s'inscrivent-elles pas dans une organisation néolibérale des villes à commencer par l'organisation du travail de celles et ceux chargé·es de « jardiner » les villes ? 

Ces questionnements sur les dynamiques d'hybridation entre urbain et rural conduisent ensuite à se pencher sur les formes d'action collective qui construisent la ville, ses excès et son caractère « inarrêtable » comme enjeu de lutte. 

 

Axe 3 - Contester les limites de la ville

Le troisième axe invite à étudier les conflits autour des limites de la ville, en prenant pour objet la diversité des formes de contestation et de mobilisations contre l’urbanisation (étalement, métropolisation, densification), mais aussi plus largement pour l’espace (la défense de son usage, sa préservation ou sa fonction d’habitat) et par l’espace (comme ressource ou outil d’organisation collective).

Les projets urbains aux périphéries des métropoles – par exemple à Gonesse, à Notre-Dame-des-Landes, ou encore sur le plateau de Saclay – peuvent produire des tensions ou des alliances entre différents groupes sociaux aux intérêts économiques et politiques divergents (habitant·es, agriculteur·trices, acteurs·trices privé·es, institutionnel·les, etc.), ainsi que des conflits de long terme entre la société civile et les pouvoirs publics. Des collectifs de riverain·es peuvent par exemple s'engager dans la défense d'aménités environnementales (parcs, jardins populaires, etc.) dans des contextes résidentiels contrastés face à des projets de densification urbaine.

Cet axe invite les communications à s’intéresser aux formes prises par ces mobilisations, aux répertoires mobilisés, aux ressources des acteur·trices et aux territoires d’inscription de l’action collective. Quelles formes d’alliances et de mésalliances peuvent exister entre des groupes sociaux inégaux autour de ces questions ? Sur quels registres de mobilisation (militantisme institutionnel, mobilisation électorale, associations, collectifs, etc.) ces contestations ou résistances s'appuient-elles ? Engagent-elles plutôt des stratégies de la discrétion ou de la publicisation ? Déploient-elles des actions institutionnalisées (faisant usage du droit) ou des modalités plus radicales reposant sur des actions d’occupation et d’appropriation d’espaces à des fins contestataires ? Les interactions entre ces différent·es acteur·trices peuvent aussi se dérouler dans le cadre de dispositifs de participation : comment les rapports de force sont alors engagés ?

Si la désurbanisation représente un horizon radical défendu par un ensemble d’acteur·trices militant·es et associatif·ves, les communications pourront chercher à éclairer à partir de quelles trajectoires et de quelles socialisations (familiales, résidentielles, militantes...) se construisent les rapports à la ville des membres de ces collectifs, ainsi que les ressorts de leurs engagements. Dans quelle mesure les rejets contemporains de la ville s'inscrivent-ils dans la continuité des discours portés par les différentes générations de néo-ruraux ? Quelles sont les dimensions de la vie urbaine qui sont plus concrètement dénoncées ? A quelles aspirations et à quels renoncements ces mouvements appellent-ils ? S’organisent-ils autour la cause environnementale ? De la défense d’activités économiques ? Contre le capitalisme urbain ? Ou bien pour préserver un cadre de vie riverain, l’homogénéité sociale de quartier ?

Les communications pourront par exemple se pencher sur les stratégies déployées par les classes supérieures pour s’opposer à la construction de logements sociaux, ou à la contestation de la « bétonisation » dans des quartiers populaires déjà fortement exposés à la pollution et aux dégradations environnementales. On pourra également interroger, à l'inverse, les résistances et contournements que peuvent susciter les réglementations, contraignant l’urbanisation en faveur de la protection environnementale (comme la loi Littoral) ou encore limitant les possibilités de construire des logements abordables dans un contexte général où celui-ci fait largement défaut.

Il sera également possible de questionner la façon dont les mobilisations inscrites dans des contextes ruraux se construisent en partie en opposition aux territoires métropolitains, qu'il s'agisse de dénoncer des inégalités de mobilité, d'accès à l'emploi ou d’inégalités énergétiques.

 

Axe 4 - Pour qui s'arrête la ville ? Circulations et inégalités socio-spatiales

Enfin, se demander « où s’arrête la ville » implique de s’interroger sur les circulations au sein de et entre espaces urbains (centraux ou marginaux) et espaces identifiés comme non-urbains.

Il s'agit ici d'étudier les mobilités intra- et extra-urbaines ainsi que les circulations entre territoires urbains et ruraux en tant que pratiques socialement différenciées, par exemple en s'intéressant aux groupes sociaux (retraité.es, néo-ruraux…) qui quittent les métropoles pour s'installer ailleurs (villes plus modestes, territoires ruraux, littoraux ou ultra-marins...) et en questionnant les réajustements socio-résidentiels qu’impliquent ces mobilités pour les territoires d'installation. Les ancrages pluriels dans des territoires urbains et ruraux (permis par exemple par le recours au télétravail ou la jouissance d'une résidence secondaire) pourront également être explorés en questionnant les groupes sociaux qui en bénéficient ainsi que les ressources hétérogènes et diversifiées qui peuvent être recherchées au sein de ces différents territoires.  

Sous l'influence de chocs externes (crise sanitaire) et de mécanismes plus endogènes comme l'augmentation continue des prix immobiliers dans les grandes villes du début des années 2000 aux années 2020, la ville peut devenir économiquement inaccessible tout comme elle peut favoriser la constitution d’une rente immobilière, qui joue un rôle actif dans la construction de fortes inégalités patrimoniales. Au-delà de la tentation de décréter l'avènement d'un « exode urbain » déjà plusieurs fois annoncé, on pourra s'interroger sur les effets territoriaux, sociaux et politiques des migrations entre espaces urbains et ruraux. Si les phénomènes d'exode rural sont largement épuisés dans les pays développés, l'étude des effets des migrations vers la ville de populations implantées dans des territoires ruraux soulève encore d'importantes questions pour la recherche.

À l'inverse, il est aussi possible de se pencher sur les groupes sociaux dont la présence en ville est construite comme indésirable, provisoire, marginale. Leur présence est ainsi toujours susceptible d’être remise en cause par les riverain·es et/ou par les institutions chargées de les prendre en charge et parfois de les expulser de leurs lieux de vie  (personnes précaires, mal-logées, sans-abris, sans-papiers…). Quel·les sont les acteur·trices impliqué·es dans cette catégorisation de l'indésirabilité en ville, quels rapports de force se construisent pour légitimer ou non, autoriser ou non, la place des un·es et des autres ? Quels sont les facteurs susceptibles d'accélérer des processus d'évictions ou de déplacements de ces populations (projets d'aménagements ou d'infrastructures, organisations de grands évènements sportifs ou culturels...) ? Comment sont vécues ces situations par les individus concernés et quelles sont les ressources qu'ils mobilisent face à la précarité d'ancrage et au risque perpétuel de rupture dans leur trajectoire ? 

Se demander « pour qui s'arrête la ville » implique aussi d'étudier les espaces et les temporalités pratiqués au quotidien selon qu’ils sont plus ou moins (in)accessibles, restreints, perçus comme dangereux ou protecteurs selon les rapports d’âge, de classe, de genre et de sexualité et d’origine comme la race, l’ethnicité ou le statut migratoire. En interrogeant les logiques du refus de l'accès à la ville pour certaines populations construites comme indésirables, le thème des limites de la ville renvoie plus largement aux frontières qui cloisonnent l'espace et aux conditions des (im)possibilités de leur franchissement. C'est le cas notamment des copropriétés fermées mais aussi de formes plus incorporées comme les expériences de la frontière sans cesse renouvelées pour les personnes exilées. Finalement, la question de savoir « pour qui s'arrête la ville » invite à étudier les formes de contestation d'un certain type ou modèle de ville marqué par des formes poussées de capitalisme urbain ou de privatisation de l'espace public.

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